Les Ecrits Vains

Interview miroir

LaurentPhilippe

rejette sa fumée vers le plafond avec un air...
vers le plafond !
farfouille dans ses fichiers midi.
Il est 14h00.

Alors, de quoi parle-t-on ?

Tout dépend du temps que tu as devant toi, mais je pense que le mieux serait de parler de notre projet, non ? Des Ecrits Vains, de notre bébé, un projet artistique qui tente de marier la poésie et la musique...

On va parler des Ecrits Vains, un projet artistique ambitieux car il consiste à mettre en musique des textes qui ont parfois plus d’un siècle.

« Les Ecrits Vains », pourquoi ce nom ?

Fallait bien à un moment ou un autre mettre un nom sur notre travail. Pour moi, il était clair que ce n’était pas le prolongement de Lulu et les Autres, ma dernière expérience musicale, mais bel et bien un nouveau concept, une nouvelle aventure humaine, dans laquelle d’ailleurs, j’avais et j’ai encore, la sensation de me reconstruire, humainement et musicalement. De me libérer de tas de choses inutiles ; de m’en remettre à Phil, par exemple pour la musique… Avant il fallait que j’écrive chaque note, que je cherche à tout controler. Je finissais par m’enfermer dans une espèce de systématique qui me bridait. C’est vraiment un duo, là, y'a pas une tête : y'en a deux. Donc on a cherché un nom qui donnerait tout de suite une image de notre boulot, plus qu’à chercher à vendre nos personnalités. Il n’y a pas d’écrits vains… à part nous. Voila un peu l’idée. Y’a une autre version qui dit que l’on s’est rencontrés dans un resto qui s’appelait l’Ecrit Vin, mais faut pas croire tout c’qu’on raconte.

D'après mes informations, on se serait rencontrés dans un resto complètement tarnais, "L'écrit-vin". Si cette légende est vraie, alors des verres aux vers, il n'y a qu'un pas... Nous l'avons franchi pour rendre hommage aux écrivains dont nous habillons les écrits... Ces écrits vains ne le sont pas, on en est la preuve vivante !

Quel est le fil conducteur du projet ?

La poésie. La recherche de la poésie dans toutes choses. Dans les mots, dans les sons, dans l’interprétation. Dans ce qu’elle peut susciter chez celui ou celle qui la reçoit. Sans limitation de genre ou d’auteurs, sans élitisme non plus. Je ne suis pas un intellectuel. En tous les cas, je ne me sens d’aucune famille d’intellectuels. La poésie. En c’qui me concerne, rien d’autre.

Il y en a plusieurs. D'abord, il faut que les textes que nous choisissons vibrent en nous, qu'ils nous interpellent au plus profond ou qu'ils nous éclatent au plus haut point... Il faut aussi que nous trouvions l'univers sonore qui corresponde à notre compréhension du texte. Enfin, la musique doit servir le texte, le mettre en valeur.

A votre avis, que penseraient Prévert et consorts de l’apport électro ?

De l’apport d’une musique tout court ! Je ne sais pas pour tous, mais Prévert ne s’opposait pas à ce que ses poèmes soient illustrés musicalement et chantés ; Vian mettait lui-même en musique certain de ces poèmes, quand il n’écrivait pas directement une chanson… Pour les autres je n’sais pas trop et je m’en fous dans l’absolu. J’ai appris que Victor Hugo ne voulais pas que l’on compose sur ses poèmes, car pour lui, la musique existe déjà dans ses vers. Ce qui est vrai. Je suis très attaché, en tant que récitant, à la musique qui est déjà comprise dans l’écriture. C’est d’ailleurs à partir de là qu’on commence à travailler. Si cette musique est respectée, on peut y coller de la valse musette ou de l’électro. L’important, je crois c’est d’épouser le sens des mots et des images qu’ils nous envoient. Que tu sois à la guitare, au tambour, ou sur un synthé. Il m’a d’ailleurs semblé croiser Boris Vian dans une rave party, l’autre nuit, avant de me souvenir de sa disparition…

Ecoute, je leur demanderais quand je les aurais rejoint. Nous reprenons des textes qui ont parfois plus d'un siècle pour transmettre leur message éternel ou leur beauté. Dans toute création artistique, il y a une part d'éternité liée à la condition humaine, et une part temporelle liée aux formes artistiques du moment ou du lieu.

Quel est le rôle de chacun dans le binôme ?

La plupart du temps, je viens avec un texte, on en parle ensemble et si la proposition est acceptée, après avoir déterminé un tempo et défini un rythme sommaire, je pose d’abord ma voix, seul. Comme un récitant, un comédien. Là-dessus, mis à part sur "Sensation", Phil n’intervient que très peu. Aux manettes, il s’arme de patience jusqu’à ce qu’on ait la bonne prise. Cela vient assez vite, généralement. J’aime la spontanéité d’une prise complète. Ensuite, Phil se met à tricoter dans son coin et je n’ai pas l’droit d’rentrer dans l’studio. Je ne sais pas c’qu’il fabrique, mais c’est de l’ordre du sorcier fou. Pendant cette période, on échange beaucoup de mail et on se met d’accord sur la couleur des tableaux, et le sens de l’ensemble. Pour finir on fignole les arrangements ensemble… De la haute couture.

Nos rôles ne sont pas définis strictement mais chacun prend naturellement sa place dans le projet en fonction des besoins. Nous avons la chance d'être très différents, avec un socle commun : le poème.

Quel est votre parcours ?

J’ai commencé à écrire des poèmes et des chansons très tôt, dès le collège. C’était un besoin, l’écriture ; une urgence et un moyen d’évasion personnelle très important. La guitare s’est imposée vers mes 14 ans, pour draguer les filles, évidement, et ça marche du tonnerre, mais aussi pour me permettre entre deux « portes du pénitencier » de glisser mes textes. A 17, je cofondais une compagnie de théâtre dans laquelle j’étais permanent et polyvalent. C’est rien de le dire… J’ai vraiment vu le spectacle vivant sous toutes ses coutures. Avec de multiples angles de caméras. J’ai donc pratiqué la comédie, mais aussi la composition de bandes sonores pour les pièces que l’on montait, généralement des créations, mais aussi des classiques et des contemporains… A ce moment là, déjà, sur du texte, je posais du son. Il fallait que cela s’épouse parfaitement. Notre boulot commun d’arrangeurs après, s’en trouve enrichi. On se comprend assez vite, Phil et moi, aussi parce que je suis moi-même un ancien barjots des séquenceurs et autre synthés. J’ai réellement arrêté le spectacle vivant en quittant Paris, il y a deux ans.

Pour ma part, un orgue dans les pattes à partir de 4 ans, l'enfance avec une flûte traversière, guitare électrique pendant l'adolescence, un peu de batterie ensuite... Parallèlement, j'ai toujours été entouré de machines et après mon 4 pistes cassette de l'époque, j'ai très vite pris le train des outils de production musicale en home-studio. Après mes premières expériences en groupe (rock/funk/fusion/world), j'ai réalisé un album-concept "Noé Gaïa" en 2008 en hommage à notre mère la Terre et à nos ancêtres les peuples premiers. Le sens porté par une création est très important pour moi, et la poésie en regorge...

Quelle ambition, quelles finalité ? (album ? scène ?...)

On est parti sur l’idée d’un album. Mais ce projet se redessine tous les jours. Il existe de nombreux autres moyens désormais pour faire entendre sa musique, voire pour la vendre. Je n’imagine pas un concert des Ecrits Vains, tel qu’on peut imaginer un concert de rock, mais pris séparément, nos morceaux peuvent devenir des clips, renforçant notre interprétation du poème et atteindre un autre public. Il faudrait une bonne scénographie pour réaliser sur les planches un spectacle cohérent de cette succession d’auteurs et d’univers différents. Rien n’est exclu pour l’instant. J’vous dis : c’est comme avec les mômes, on grandit avec eux, avant on ne sait pas.

La première étape est de construire nos morceaux. Par la suite, on imagine beaucoup de choses : vidéo, festivals de poésie, spectacles vivants multimedias, etc... Ou tout simplement faire le même travail d'habillage sonore avec des écrivains actuels, en vers ou en prose. Mais il ne faut pas oublier que nos morceaux ne sont pas destinés à un public élitiste. Le projet des Ecrits Vains est un hymne à la poésie, donc à la vie : cela concerne toute la population francophone sur Terre !

Comment vous êtes-vous rencontrés ?

C’était un soir de pleine lune sur une plage du sud de la France. Je courrais nu sur la plage et lui aussi, en sens inverse. Puis on s’est croisé. Je lui ai dit que son lacet était défait, il a regardé, il était pied nu. On a ri. On s’est assis, on s’est embrassé. Voilà. Le reste, c’est très perso.

Là c'est vraiment trop perso. Mais je dirais tout. La première rencontre, c'était à l'Ecrit-Vin (un resto complètement tarnais). On a partagé un moment musical, Laurent à la guitare-voix et moi à la flûte. Au début, j'ai cru que j'avais à faire au fils de Bashung et Gainsbourg - sans oublier Keith Richard (oui ils s'y sont mis à plusieurs pour le concevoir le Laurent et encore j'en oublie). La seconde rencontre, c'était à une grosse fête pleine de musiciens où j'ai été impressionné par la présence et la voix de Laurent en live et en impro... Je lui propose de passer une journée pour construire quelque chose autour de sa voix. Deux mois après, il ramène un texte, je sors une ébauche de morceau... "Cet amour" de Jacques Prévert était né.

Comment décidez-vous des textes ?

J’avais des textes comme "Cet Amour", "Je mourrai d’un cancer de la colonne vertébrale", qui me suivaient depuis un moment et que je n’avais jamais pu enregistrer dans aucun des projets dans lesquels j’étais impliqué avant. J’avais essayé "Avenir", une fois en 2005, avec Lulu et les Autres ; je venais tout juste de lire "Le Guetteur Mélancolique" et j’avais pris ce texte dans la gueule. Je pensais pouvoir le sortir comme ça, après une nuit d’enregistrement, a cappella, mais j’étais cuit et on a tout effacé. "Ode", c’est un texte que j’avais déjà mis en musique en 85, 86, pour une compagnie qui montait "Exercice De Style". Le spectacle s’appelait : "Il était une fois dans l’S". Je l’ai rejoué à la guitare comme à l’époque, sans rien changer et Phil a soigné l’costard en lui apportant ce qui lui manquait : toute la douce folie d’un dessin animé.

C'est plus souvent Laurent qui propose les textes, mais ça peut m'arriver comme avec "Sensation" d'Arthur Rimbaud qui me touche profondément, ou bien "Inscription" de Charles Cros qui m'a beaucoup fait penser à Laurent. Pour les textes comme pour la musique, l'un des deux propose et on décide ensemble.

Où situez-vous ce projet dans la production musicale actuelle ?

Nulle part. Ca ne me fait penser à rien qui existe, mais je suis loin de connaître tout ce qui s’passe en matière de poésie musicale. Par exemple, il n’y a pas si longtemps, je faisais une playlist pour l’anniversaire d’un enfant de 11 ans qui, pour sa fête, souhaitait du rap, du r&b, du slam... J’ai découvert pas mal de trucs intéressants ; en tous cas dont la démarche, d’un point de vue strictement musical se rapprochait pas mal de la nôtre. J’imaginais très bien, les types poser leur voix, leurs textes et que tout se construise autour ; un peu ce qu’on fait avec Phil, en somme. Après, le choix des orchestrations, le son, le style, tout ça : pfff...

Si la prod actuelle est celle qui nous est matraquée dans les grands médias, alors nous nous situons à côté et ça ne pose aucun problème. Notre démarche artistique consiste à illustrer musicalement des poèmes en toute liberté de style. On pourrait appeler ça de la poésie musicale, comme on parlait de poème symphonique au XIXe siècle, et dans le sens où le texte est un poème, donc qui n'a pas été écrit avec la musique.

Donnez-moi 5 adjectifs qui définissent l’autre.

Ca c’est énorme comme question... ! Perfectionniste. C’est le premier qui m’vient en tête. Les autres en découlent ; Angoissé. Audacieux. Hyper-sensible. Adjectifs qui le définissent, hein ? Tu m’aurais dis : qualités qui le caractérisent, j’aurais dit : La passion. L’acharnement, La générosité. Le savoir-faire. Bref, énervant, quoi !

Laurent ? Chaud-bouillant. Hyper-sensible. Passionné. Poète. Punk.

Quels sont vos moyens de production ?

Ceux d’Philippe. On travaille chez lui, dans son home studio. C’est cool. Un peu l’foutoir, mais on peut fumer, ce qui devient rare dans les studios. On n’aurait pas pu bosser ensemble sinon.

On bosse avec un home-studio, nos mains, nos oreilles et notre imagination. Pour le home-studio, il y a quelques machines qui s'articulent autour d'un séquenceur sur pc, avec son lot d'effets et d'instruments virtuels. D'autres musiciens interviennent sur les morceaux, comme Gaétan Demoen qui apporte sa touche de batteur.

Quels sont vos implications ?

Mes implications ? Je n’sais pas. J’ai l’impression de prendre ça très au sérieux et dans le même temps, je n’ai pas spécialement d’ambition particulière de gros carton, de succès ou je n’sais quoi. L’essentiel étant de se faire plaisir en s’imposant des défis artistiques, comme peut l’être chaque nouveau morceau. Après, on peut considérer ça comme un plein temps, puisque tout ce que nous vivons nourrit ce projet de façon directe ou non. Pour moi, c’est l’occasion de poser quelques valises et d’asseoir une expérience. Genre, un peu comme quand tu fais un bilan d’compétence pour pole emploi. Non, j’déconne, c’est bien plus que ça.

Euh... là je comprend pas la question... De quelle manière je suis impliqué dans ce projet ? Ben dans ce projet artistique, il y a 2 piliers : Laurent et moi. Si t'en enlèves un des deux, ca marche pas. A partir de là, tu peux imaginer nos implications.

Comment en êtes venus (à) la chanson ?

Oh, là, t’as mangé des mots, là… J’ai commencé à écrire des poèmes et des chansons vers l’âge de 12/13 ans. Puis la guitare et je chantais. Mon premier concert, je l’ai fait dans une maison de quartier à Monconseil, une cité chaude de Corbeil-Essonnes, en banlieue sud de Paris. Je chantais pas mal de Thiéfaine à ce moment-là et les types était plutôt branchés rap déjà. Mais c’était un pur moment. Bon, ils se sont cassés avec la caisse, mais, moi je savais que j’avais un truc à faire dans c’domaine. Je découvrais l’excitation d’être sur scène et les pouvoirs qu’il te faut acquérir pour affronter ton public !

Quelle chanson ?! On fait pas de la chanson, on fait de la poésie musicale ! Enfin bon, si t'as envie d'appeler ça de la chanson, je respecte. Mais c'est tout, hein.

Dans le projet final n’y aura-t-il que des poèmes « classiques » ?

Il s’est imposé très vite que nous allions nous concentrer uniquement sur des textes déjà écrits par des auteurs que nous avions envie d’honorer. Je crois qu’après avoir enregistré "Cet Amour" et avoir cherché, par curiosité, d’autre versions par des personnalités comme Prévert lui-même, Reggiani ou bien encore Jeanne Moreau, on s’est aperçu de la modernité de notre « reprise ». A partir de là, je crois qu’on s’est fixé pour objectif d’ « updater » certains écrits d’auteurs que nous aimions. Ceci dit, il y a des auteurs autour de moi et j’écris moi-même ; rien ne nous empêche d’enregistrer des poèmes inédits. Je pense pas avoir la prétention de moderniser ou de ressusciter la poésie française, mais de contribuer à ce qu’elle vive. Si par « classiques », vous entendez auteurs morts, alors non. On va faire cohabiter les morts et les vivants. Pour que rien ne se perde.

Les poèmes dits "classiques" datent d'avant la révolution française. Si Vian, Queneau ou Prévert sont des classiques, alors nous sommes en pleine période romantique ! Bon je crois que tu veux parler de poèmes qui ne sont pas actuels. Et bien on va commencer par ceux-là car c'est le plus difficile. Mais par la suite, effectivement, on va surement s'ouvrir à des poètes d'aujourd'hui et pas forcément connus, au fil des rencontres...

Y a-t-il une valeur ajoutée à travailler en campagne ?

C’est quoi la question ? C’est : « Est-ce que la misère est plus supportable au soleil » ? Parce que oui, je confirme. Ici, j’ai une vie bien meilleure qu’à Paname, bien plus belle et bien moins chère. J’ai toujours été fauché. Parce que je n’comprends pas grand-chose à l’argent et que je n’ai jamais su me vendre réellement. Ici, je peux me faire un peu de blé, en travaillant dans le milieu agricole, à l’air libre, dans des décors merveilleux, tout en ayant du temps pour travailler sur des projets artistiques comme celui-ci. Quand je composais des bandes sons pour le théâtre, je quittais souvent la région parisienne pour m’isoler dans un bled à la campagne. Loin des troquets et des amis qui te dispersent au final… Je m’souviens d’une fois, où dans l’Yonne, je sortais le matin, la gueule enfarinée d’une nuit de boulot et je jouais à la guitare, pour les vaches qui rappliquaient, ravies, les morceaux fraich’ment composés. Des fois, elles tiraient la gueule et je savais que le truc n’était pas bon. La solitude a un bon goût à la campagne et ça aide pour prendre le temps d’apprécier la poésie de la vie. Ici, par exemple, j’apprends les saisons et les projections que l’on peut faire d’une année sur l’autre. Ton travail d’aujourd’hui donnera la vigne de demain. C’est clair comme les touches d’un piano, ici. La poésie est partout où on prend le temps de la contempler. Je suis un enfant de la poésie urbaine, mais je découvre celle d’ici et j’aime ça. Pour enfin répondre à la question : Ouais, en c’moment, ouais. Mais y’en a surement une à New-York aussi.

Après pas mal d'années passées à Paris, il fallait arrêter les conneries. Je n'ai pas retenu l'option d'une vie parisienne, d'un métro avec ses fantômes ou d'un quartier de la défense avec ses robots. Il y a bien sûr de très belles choses dans cette capitale, mais ce ne sont pas forcément celles qui brillent... Alors je suis parti dans un endroit où l'on respire d'autant mieux qu'il y a moins de voitures, moins de publicités agressives, moins d'électricité dans l'air. Et beaucoup plus de soleil. De par mes origines, mon coeur est bien souvent au sommet des montagnes de mes aïeux, quelque part dans les Pyrénées... Vivre à la campagne est pour moi un compromis entre la nature sauvage que j'aime et le monde des humains dont l'imperfection est si belle.

Propos recueillis par Léo Artaud en juin 2012

Photos (c) François Martinez